Les
veillées de mon enfance
Des soirées de mon enfance, il ne me reste qu’un souvenir : les veillées. Il n’y avait pas de télévision, encore moins d’ordinateur, très peu de cinémas et de spectacles en général. Par contre, les veillées dans la famille et entre amis étaient légion. Dans un de ses romans, Jean-Pierre Chabrol a écrit : « On invitait les voisins à une veillée quand il y avait un travail emmerdant à faire ».
Pour nous, ce n’était pas du tout ça, les veillées étaient
des réunions conviviales entre amis. Celles dont je me rappelle se passaient à
la campagne, essentiellement en hiver, chez des amis agriculteurs qui habitaient
du côté du château des Ormes[1]. Je ne me souviens pas du
nom de ces amis ni de ceux qui étaient invités avec nous.
Dans
ces veillées, les anciens ne parlaient que le patois local proche de
l’occitan. Je le parlais difficilement, mais je comprenais tout. À la maison
aussi, mon père, lorsqu’il recevait ses clients tous paysans (il était
entrepreneur de travaux agricoles) utilisait cette langue. Mon père
n’utilisait le français que dans des occasions solennelles, administratives
et, toujours, sans exception, lorsqu’il me parlait. L’instituteur lui avait
fait cette recommandation pour ma réussite scolaire. Je pense aujourd’hui
qu’il a eu raison de suivre ce conseil. À l’école, le patois était
interdit et tout contrevenant s’exposait à une sévère punition.
Revenons
à la veillée qui se tenait dans la cuisine, salle à tout faire, pièce unique
de la ferme. Mes souvenirs ne sont pas nombreux, mais ils sont très forts.
Nous, les enfants avions une très grande liberté de mouvement à condition de
ne pas faire trop de bruit. On jouait avec un rien. Une simple grosse boîte
d’allumettes jouait le rôle d’une voiture qu’on traînait avec un bout de
ficelle en imitant le bruit du moteur : vroum, vroum, vroum. Le carrelage
et un bout de craie et on pouvait jouer à la marelle. Il y avait aussi le jeu
de billes, mais les joints de carrelages ne nous facilitaient pas la tâche. Il
y avait aussi le jeu de cache-cache, le chat perché etc.
Les
hommes, eux, jouaient aux cartes, surtout à la manille. Les parties étaient le
plus souvent animées. Ils parlaient fort. Parfois, c’étaient des rires, des
fous rires même, entrecoupés par un silence de mort et rarement par des
engueulades.
Les
femmes, elles, avaient comme occupation principale leur ouvrage. Cela ne les empêchait
pas de discuter. Elles étaient rassemblées autour de la cheminée. Le manteau
de la cheminée allait d’un mur à l’autre sur le plus petit côté de la pièce.
Le rebord du manteau servait d’étagère sur laquelle étaient posés, un
bougeoir, un moulin à café, une boîte d’allumettes et une série de boîtes
en faïence sur lesquelles était écrit « café, sucre, farine etc. ».
Ces boîtes étaient décorées. Ébréchées, fêlées, il était évident
qu’elles avaient subi les outrages du temps. Sous le manteau, le foyer
occupait la partie centrale avec une crémaillère à laquelle était accrochée
un chaudron en cuivre qui était utilisé pour cuire les aliments. À droite du
foyer, il y avait une petite réserve de bois et à gauche sur une petite étagère
des instruments de cuisine. Chez nous, le foyer était occupé par une cuisinière
à bois et à charbon, mais l’étagère au-dessus du manteau avait des
ressemblances évidentes avec celle de nos amis.
Enfin, un souvenir particulièrement fort : le feu dans la cheminée. Les flammes captivaient mon regard, leur mouvement aléatoire, leurs couleurs, jaune, rouge, blanc ou bleu m’enchantaient, m’hypnotisaient parfois. Mes copains de jeu devaient parfois me bousculer pour me faire revenir à la réalité. Aujourd’hui lorsque j’allume mon insert, certains souvenirs de cette époque ressurgissent avec une grande émotion.
[1]Le
château des Ormes fut construit
aux alentours des années 1870. Au début de la guerre 39/45, sous couvert
d’un chantier rural, le château abrita des enfants juifs, réfugiés
alsaciens et lorrains. Plusieurs de ces enfants, sans doute la majorité,
seront arrêtés et internés au camp de Saint Sulpice puis transportés
vers Drancy et finalement déportés à Auschwitz les 9 et 11 septembre
1942.
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