Les voyages forment la jeunesse

C’était au début des années 1970, je revenais de mission en Angleterre à Hatfield près de Londres, chez Hawker Siddeley Dynamics, pour l'avion Concorde  : pour lire l'article sur cet avion cliquez sur CONCORDE . Mon vol de retour était tout à fait habituel, départ de Hatfield en taxi pour l'aéroport Londonien de Heathrow, vol sur Paris Orly puis correspondance sur Toulouse pour arriver vers 20H. Mais tout ne se passa pas du tout comme prévu, j'arrivai à l'aéroport de Blagnac le lendemain vers midi. 

Le déroutement : Que s'est-il passé. Juste une grosse nappe d'épais brouillard sur Orly, mais les conséquences sont intéressantes à raconter. 

Nous partons de Londres à l'heure avec un vol Air France et après une demi-heure de vol on nous annonce que le brouillard est intense sur Orly et qu'on va être dérouté ; mais le pilote ne sait pas encore vers quel aéroport. Notre Caravelle n'est pas encore équipée du système d'atterrissage tout-temps [note 0]. Quelques minutes après, une dizaine si je me souviens bien, il nous annonce que c'est Tours qui va nous accueillir. Pourquoi pas ! On tourne un peu avant d'atterrir, car bien sûr nous ne sommes pas les seuls à avoir été dérouté vers cette destination. L'atterrissage se passe tout à fait normalement, mais l'aérogare n'est pas prévu pour recevoir autant d'avion.  Notre Caravelle est garée sur le tarmac au fin fond de l'aéroport. Pas de bus pour rejoindre l'aérogare, mais heureusement j'ai juste un "overnight bag" (j'ai employé le terme anglais car le français "baise-en-ville" qu'on employait couramment m'a paru un peu osé).

L'attente : Dans l'aérogare, c'est une pagaille indescriptible. Les gens vont et viennent dans tous les sens. Il me faut un moment pour comprendre que les gens cherchent un téléphone [note 1]pour prévenir leur proche de la situation. Je suis dans leur cas et je met quelques minutes à trouver. La queue est énorme, mais je n’ai pas le choix. On nous annonce qu’on va mettre un train qui nous conduira à Paris, le départ est prévu dans une heure. Cela me donne largement le temps d’avertir la famille et leur éviter d’aller à l’aérogare pour rien. Mais soudain …

C’est lui : Mais qui lui ? Eh bien Adamo, Salvatore de son prénom. Il est là, cet auteur, compositeur interprète. Il passe à côté de moi, il me frôle. Mais que fait-il là ? Comme nous, son avion n’a pas pu se poser à Paris et il se retrouve à Tours. Mais pour lui c’est bien plus grave, car il a un concert à l’Olympia où il va chanter tous ses succès sans oublier sa nouvelle chanson : « J'avais oublié que les roses sont roses ». On nous dit qu’il doit faire vite, mais qu’avec un taxi il arrivera à temps. Il n'a sans doute aucun soucis d’argent pour se payer un taxi. Mais il nous laisse à notre triste sort. Il me reste juste quelques minutes pour engloutir un sandwich, car j’ai une faim de loup.

Enfin Paris : Nous effectuons le trajet Tours/Paris en train avec plusieurs arrêts. Pourquoi des arrêts alors que ce train a été affrété spécialement pour nous, "les naufragés du ciel". Les employés de la SNCF nous disent que nous ne sommes pas prioritaires et qu’on ne doit pas gêner le trafic normal. Donc acte ! Nous arriverons à Paris vers une heure du matin. Nous avons mis plus de temps que n’en mettent les coureurs de la course cycliste Paris/Tours[note 2] .

Dormir, dormir : Un bus nous transporte vers les différents hôtel qu’on a réservé pour nous. Je pense que je ne suis pas le plus mal loti. Je suis dans la deuxième fournée, il est 3 heures du matin quand nous rentrons dans l’hôtel. On nous prévient que le bus passera nous reprendre vers 8 heures pour nous amener à l’aéroport. Le confort de l’hôtel est acceptable et je ne tarde pas à m’endormir. On doit nous réveiller vers 7 heures, mais dès 6 heures c’est un marteau piqueur qui s’en charge. La nuit fut très courte.

Enfin Blagnac : Pas si vite. On attend le bus jusqu’à 8H30. Arrivée à Orly à 9h30, mais notre avion pour Toulouse n’est qu’à 11H. Une heure de vol, on fait le tour de la ville rose par le sud car le vent est au nord ouest et la piste de l’aéroport de Blagnac se présente à nous. Le ciel est bleu, l’atterrissage est parfait, que la vie est belle après toute cette contrariété.

C'est Montaigne qui pense que les voyages forment la jeunesse – il les recommande fortement dans l'essai « De l'institution des enfants », et il a bien raison. Après ce désagrément, j'ai eu d'autres péripéties pénibles ; je les ai supportées avec plus de sagesse.

Remarque : Bien que les proportions ne soient pas du tout les mêmes, ce souvenir m'est revenu en mémoire à cause des fortes perturbations dans le trafic aérien européen provoquées par l'éruption du volcan islandais Eyjafjöll. Celui-ci est entré en éruption dans la nuit de samedi 20 mars 2010 et de nombreux passagers se sont trouvés pris au piège et ont eu de gros problème pour rejoindre leur base. J'ai une pensée pour tous ces "naufragés du volcan".



[0]Le premier atterrissage dit « Phase III » sans visibilité a été effectué le jeudi 9 janvier 1969 par une Caravelle de la compagnie Air Inter avec cinquante et un passagers à bord grâce au système d'atterrissage automatique Sud-Lear permettant de se poser avec vingt mètres de plafond et deux cents mètres de visibilité horizontale.

[1] Le téléphone mobile n'existait pas encore

[2] Course existant depuis 1896 et gagné cette année là par Eugène Prévost

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