En 1971, suite à un voyage en Chine et fortement impressionné par la révolution culturelle chinoise, le Conducator Ceausescu change radicalement de cap, avec le plan quinquennal, il veut rembourser la dette extérieure du pays et rentabiliser toutes les industries du pays et ordonne l'exportation de la majeure partie de la production agricole et industrielle du pays. En 1974, il devient le président de la Roumanie. Les manques de nourriture, d’énergie, de médicaments, etc....ont conduit la Roumanie près de la famine. grâce à la Sécuritate il a maintenu des commandes rigides sur la liberté de parole et sur les médias et n'a toléré aucune opposition interne. Il a nommé sa femme et des membres de sa famille aux hauts postes dans l'état.
J’étais dans le groupe opérationnel de L’ATR 42. Je pense que c’était en 1983. Ceausescu régnait en maître absolu sur la Roumanie. La mission consistait à rencontrer le constructeur aéronautique nationalisé roumain IAC pour étudier s’il était possible de coopérer et dans quel domaine. Nous étions trois ingénieurs de l’Aérospatiale, un spécialiste aérodynamique, un spécialiste structure et moi qui étais à cette époque le chef du service système de l’ATR. Je ne parlerai pas que peu de la partie purement technique ; par contre, je vous raconterai quelques anecdotes qui me paraissent intéressantes.
Bucarest
Bac 111. Le Bac-111 est un avion de type court-courrier. La production du BAC 111 (série 561) déménagea en 1982 du Royaume Uni vers Bucarest. Nous avons fait une visite rapide à l'usine de construction qui ma foi nous a paru très bien organisée. Les appareils ont été construits pour la compagnie roumaine. Mais, comme aucun autre client ne s'est présenté, neuf unités seulement ont été produites.
Roulé par un petit malin
On nous avait prévenus que les Roumains cherchaient à échanger leur monnaie avec des devises négociables. Cela leur permettait d'acheter des habits ou du matériel dans les magasins d'État. Un soir, on rencontre un Roumain qui parlait très bien le français et qui nous explique qu'il voulait s'acheter un jean et aussi des livre en français. Il touche notre fibre sensible et on accepte d'échanger 100F contre 10000 lei. Nous décidons d'accepter et pour cela moi-même et un collègue donnerons chacun 50F. Mais là commence une mise en condition à laquelle on ne se méfia pas. D'abord, il nous explique quel est le danger pour lui s'il se fait prendre. Donc, il nous dit qu'il faut se retirer dans un coin sombre et un seul d'entre nous doit faire l'opération. Après, il faut rapidement se séparer pour éviter tout risque. Je ne sais pourquoi, mais c'est moi qui suis désigné pour l'opération. Tout se passe comme il l'a voulu. Lors de l'échange de billets, il me montre un par un les 10 billets de 1000 lei, il les enroule et les met dans ma main pendant que je lui donne les 2 billets de 50 F. Par ses gestes, il entretient une ambiance de suspense à laquelle j'adhère sans même m'en rendre compte. Il part en longeant les murs et me fait signe de m'éloigner de même de l'autre côté. J'ai toujours les billets dans la main et je les glisse dans la poche de mon imperméable. En rejoignant mes collègues, je leur raconte ce que je viens de vivre. On ne pense pas sur le moment à la liasse de billets. Un peu plus tard, alors que nous sommes dans un magasin d'État pour voir s'il n'y a pas quelque chose d'intéressant à acheter, mon collègue me demande sa part. Je glisse ma main dans ma poche saisis la liasse, je la déroule et surprise, le billet extérieur était bien un vrai billet de 1000 lei, le reste n'est que du papier journal. Donc, le gars, avec son air innocent, nous a bien roulés et je n'y ai vu que du feu.
De mon périple en Roumanie il ne me reste que deux billets de banque, le plus gros étant de 25 lei (leu au singulier). voir ci-dessous :
J'ai également le billet de 10 lei qui est un tout petit peu plus petit.
Le taux de change du leu était tellement élevé qu'en 2005 le gouvernement et la Banque Nationale Roumaine ont mis en circulation du NOUVEAU LEU (qu'on appelle aussi "Le leu lourd"). La valeur d'un nouveau leu est de 10000 lei anciens. avec ce nouveau leu le taux de change actuel est : 1 leu roumain = 0,245797853 euro.
Sur EBay, les billets de l'époque avant le leu lourd s'échangent de 100 à 200 fois leur valeur théorique. Par exemple un billet de 1000 lei ancien soit 0,1 leu lourd est vendu 4,5 euros pour une valeur théorique : 0,1 x 0,245 = 0,0245 euro. Mes lei de l'époque Ceausescu valent sans doute beaucoup plus, mais ils ne sont pas à vendre.
Brasov
Brasov est une ville du centre de la Roumanie dans les Carpates méridionales. Entourée de montagnes elle est appelée le joyau des Carpates. Depuis Brasov, par temps clair on a une vue magnifique sur le Moldoveanu, le plus haut sommet des Carpates méridionales, qui culmine à 2543 mètres. Le but du voyage n’était pas de faire du tourisme, mais de visiter l’usine qui construit les hélicoptères « Alouette III » en sous-traitance de l’Aérospatiale. L'hélicoptère léger de transport et à usages multiples Aérospatiale SA-316 « Alouette III » est une version plus grande du SE-313 B « Alouette II » et remporte également un succès notable. Contrairement à son prédécesseur, il dispose d'un cadre amélioré, d'une motorisation plus puissante et d'un fuselage fermé avec une nacelle et des outriggers. La cabine était plus spacieuse et à même de transporter de plus lourdes charges. 230 hélicoptères furent construits à Brasov, en Roumanie par ICA sous la dénomination "IAR 316 B. L'usine était propre, bien organisée et il nous parut que le travail effectué était de qualité.
Concernant ce petit voyage à Brasov, je vais vous raconter deux petites péripéties.
Petite peur rétroactive
Pour se rendre à Brasov, il faut franchir un col qui est à une altitude assez élevée, car la neige fut au rendez-vous. Le conducteur fut assez imprudent et fit une embardée dans un virage. Ce fut miracle, après plusieurs coups de volant de se retrouver au beau milieu de la route. Le conducteur ne dit mot et nous fîmes de même, mais l’ambiance dans la voiture n’était pas sereine. Pour le reste du parcours, tant que la neige fut présente, je peux vous assurer que nous n’en menions pas large. Notre arrivée à Brasov fut un grand soulagement, mais il faut avouer que c’est seulement à ce moment là que nous réalisâmes que nous étions passés très près d’un accident et qu’une peur rétroactive nous envahit.
L’affaire de la nappe et des serviettes
Après notre arrivée, nos accompagnateurs nous amènent directement à la cantine d’entreprise pour le repas de midi. Nous laissons sur le côté la cantine de « la troupe » et nous arrivons dans une salle indépendante assez grande, avec deux grandes tables où les assiettes et couverts sont en place. Les murs ne sont pas très nets et le sol est assez irrégulier. Nous remarquons immédiatement que les tables sont très différentes. Dans ma petite tête, j’imagine qu’étant invités nous aurons droit à celle qui est au fond de la salle, plus au calme et surtout avec un meilleur standing. Et bien non, nous nous arrêtons à la première dont la nappe est toute trouée et dont les couverts sont dépareillés et les assiettes ébréchées. Un coup d’œil à la table d’à côté et s’il est clair que les assiettes et couverts sont de meilleurs qualité, la nappe est elle aussi trouée, mais reprisée. À qui est donc réservée cette table ? Nous aurons la réponse un peu plus tard. Mais, une autre surprise nous attend : les serviettes de table. Ne soyez pas trop impatient, je vais vous expliquer. Elles n’étaient pas trouées, mais simplement en papier. Et alors ! Il existe de très convenables serviettes en papier. Oui, mais celle-là était en papier blanc d’une épaisseur telle qu’on pouvait presque voir à travers. Et dernier détail qui a son importance, la serviette d’origine avait été coupée en quatre. Avez-vous déjà essayé de couper une serviette en papier en quatre sans ciseau. Essayez et voyez le résultat : une des arêtes est à peu près rectiligne, mais l’autre est dentelée de façon très irrégulière. Le repas commençait bien ! La suite : une nourriture assez abondante, mais plutôt insipide. J’allais oublier, qui étaient donc ces personnages si importants qu’ils avaient droit à une nappe et des couverts de meilleur standing que les nôtres ? C’était le personnel navigant de l’usine avec leur belle tenue.
Conclusion de la mission
Elle se résume en deux mots : les Roumains étaient de bonne volonté et avaient une capacité indéniable, mais leur façon de travailler ne pouvait s’adapter à la nôtre. Un des domaines où ils étaient vraiment à la hauteur était les essais aérodynamiques, mais ce sujet était bien trop sensible pour leur confier quoi que ce soit.
Un regret : Ne pas avoir pu faire l’excursion dans les montagnes de Poiana jusqu'au célèbre château de Bran (pas très loin de Brasov). Ce n'est pas tant pour le comte sanguinaire Dracula qui y aurait fait des ravages et qui est une légende à la suite du roman de B Stoker. Mais, ce château, construit au XIVe siècle par le chevalier teuton Dietrich, est sans conteste le plus beau château médiéval de la Transylvanie. Il se trouve dans un cadre magnifique à flanc de montagne surplombant la vallée.
Par contre, nous n'avons pas regretté d'être allé en Roumanie trop tôt pour voir le dernier projet le plus fou de Ceausescu : la systématisation du pays, qu'il n'y ait plus de ville ni campagne et encore moins de maison individuelle. En 1984 commence la destruction de Bucarest. Son projet débuta dans les campagnes en 1987.
Vu le rapport défavorable que nous avons fait de la mission, on nous conseilla de ne pas prévoir de voyage privé en Roumanie. À bon entendeur, salut !
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